Et le 18 avril 2018, le législateur publia un arrêté royal modifiant la réglementation des marchés publics

Il était annoncé pratiquement depuis l’entrée en vigueur, le 30 juin 2017, du nouveau régime juridique des marchés publics : un arrêté royal du 15 avril 2018 « modifiant plusieurs arrêtés royaux en matière de marchés publics et de concessions et adaptant un seuil dans la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions » a été publié au Moniteur belge mercredi 18 avril 2018. Certaines de ses dispositions sont immédiatement entrées en vigueur, d’autres le seront dix jours après la publication, donc toutes seront probablement applicables au moment où vous lirez ces lignes.

Rassurons immédiatement le lecteur : ce n’est pas un « nouveau nouveau » régime juridique qu’a adopté le législateur belge : il s’agit simplement d’adaptations, de corrections et de précisions apportées à la législation existante, et notamment à la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, aux arrêtés royaux des 18 avril 2017 et 18 juin 2017 relatifs à la passation des marchés publics dans, respectivement, les secteurs classiques et spéciaux, et à l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics, qui en est donc à sa cinquième version depuis son adoption. Petit tour d’horizon des principales nouveautés.

1. Loi du 17 juin 2013 : adaptation de certains seuils

Depuis le 30 juin 2017, les praticiens des marchés publics s’étonnaient de ce que la loi du 17 juin 2013, qui est structurée selon la valeur du marché public concerné, mentionnait toujours des montants liés à l’ancien régime[1] : les montants de 8.500 EUR HTVA, 85.000 EUR HTVA et 170.000 EUR HTVA étaient encore cités ici et là, alors que ces mêmes montants, dans le cadre de la passation du marché, ont été remplacés, respectivement, par ceux de 30.000 EUR HTVA, 135.000 HTVA puis 144.000 EUR HTVA et enfin 418.000 EUR HTVA puis 443.000 EUR HTVA.

Désormais, les montants cités dans la loi du 17 juin 2013 s’alignent sur ceux cités dans les arrêtés royaux relatifs à la passation des marchés publics.

Pour les marchés dont la dépense à approuver, hors taxe sur la valeur ajoutée, dépasse 144.000 EUR dans les secteurs classiques, et 443.000 EUR dans les secteurs spéciaux, seuls les articles 4, 5, 7, 8, § 1er, alinéa 1er, 9, 9/1 et 10 de la loi du 17 juin 2013 s'appliquent. Ceci signifie que le seuil à partir duquel les obligations de l’adjudicateur en matière de motivation et d'information des candidats, des participants et des soumissionnaires sont plus importantes est rehaussé. En d’autres termes, alors que l’adjudicateur avait une obligation de communication active (d’initiative) des motifs de sa décision dès que la valeur à approuver de son marché atteignait 85.000 EUR HTVA (s’il était issu des secteurs classiques) ou 170.000 EUR HTVA (s’il était issu des secteurs spéciaux), cette obligation ne lui incombe désormais plus qu’à partir de (respectivement) 144.000 EUR HTVA et 443.000 EUR HTVA. Sous ces seuils, l’adjudicateur n’a pas l’obligation de communiquer les motifs de sa décision tant que ceux-ci ne sont pas réclamés, en bonne et due forme[2], par le candidat, le participant ou le soumissionnaire.

Un seuil a également été adapté dans la partie de la loi applicable aux marchés relevant de la loi défense et sécurité : une occurrence du montant de 8.500 EUR HTVA a été portée à 30.000 EUR HTVA. Ce point n’est pas plus amplement développé ici.

[1] Régime juridique découlant de la loi du 15 juin 2006 et de ses arrêtés royaux d’exécution.

[2] Voy. l’article 29/1, § 1er, alinéa 3, de la loi du 17 juin 2013.

2. Arrêté royal du 18 avril 2017 : nouveautés en matière de comparaison du prix des offres, de dépôt des offres et de sélection qualitative

En ce qui concerne la comparaison du prix des offres, l’article 29, alinéa 3, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 avait inséré une nouveauté pour les marchés publics lancés depuis le 30 juin 2017 : cette comparaison devait se faire en incluant la TVA. Une précision a été apportée : désormais, ce n'est que lorsque la TVA engendre un coût pour le pouvoir adjudicateur que l'évaluation du montant des offres se fait taxe sur la valeur ajoutée comprise. Si le pouvoir adjudicateur récupère la TVA, l’inclusion de celle-ci dans la comparaison des offres est sans pertinence, et donc non obligatoire.

Une précision a été apportée à la notion de « date et heure ultime » de dépôt des offres. Cette précision fait suite à un arrêt du Conseil d’État prononcé en 2016 : le mot « ultime » s’entend comme signifiant « au dernier moment utile ». Par conséquent, la disposition qui énonçait que les demandes de participation ou les offres devaient être remises « avant l’heure ultime » était contradictoire. Cette contradiction a été corrigée et, désormais, l’arrêté royal parle d’heure « limite », à laquelle il est trop tard pour remettre sa demande de participation ou son offre. Le rapport au Roi illustre ce propos comme suit : « Par exemple, si la limite d'introduction des offres était fixée dans les documents du marché au 26 février 2018 à 10h00, les offres qui parviendraient à 9h59 ou avant seraient à l'heure, tandis que celles qui parviendraient à 10h00 et 0 seconde ou plus tard seraient tardives ».

Par ailleurs, plusieurs nouveautés ou précisions ont été apportées dans le cadre de la sélection des soumissionnaires.

Premièrement, il est désormais toujours permis au pouvoir adjudicateur de demander une traduction des informations et documents présentés dans le cadre de la sélection (au sens large : motifs d’exclusion et critères de sélection qualitative), des statuts, actes et informations visés à l'article 59, 2°, de l’arrêté royal du 18 avril 2017. Auparavant, pareille traduction ne pouvait pas être demandée lorsqu'il s'agissait d'un document rédigé dans l'une des (trois !) langues nationales.

Ensuite, une précision terminologique a été apportée dans la disposition relative à l’attestation de paiement des cotisations de sécurité sociale : celle-ci porte désormais sur l’avant-dernier trimestre civil « échu » et non plus « écoulé ». Cela devrait permettre de solutionner les quelques cas dans lesquels un trimestre est écoulé mais les cotisations sociales relatives à ce trimestre ne sont pas encore dues.

Enfin, c’est la modification principale en matière de sélection qualitative et elle est entrée en vigueur le jour-même de la publication de l’arrêté royal du 15 avril 2018, il est désormais obligatoire, lorsqu’un DUME est requis[1], de le remettre exclusivement au format électronique, et ce même si le reste de l’offre ou de la demande de participation peut encore parfois (jusqu’au 18 octobre 2018) être remis par voie papier. Le législateur relève d’ailleurs cette hypothèse particulière dans laquelle le format électronique côtoiera le format papier, sans pour autant indiquer la marche à suivre dans pareille circonstance : comment, pratiquement, joindre un document électronique à des documents papier ? quelles règles doit-on appliquer pour la signature du DUME ? … Sans doute peut-on y voir un incitant, pour les adjudicateurs, à anticiper de six mois l’utilisation exclusive des moyens de communication électronique dans le cadre de la passation de leurs marchés.

[1] DUME : Document unique de marché européen, requis dans le cadre des marchés publics dont la valeur estimée atteint le seuil fixé pour la publicité européenne. Voy. aussi la rubrique juridique dans l’édition de La Chronique du 12 août 2016.

3. Arrêté royal du 18 juin 2017 : reprise partielle des nouveautés applicables dans les secteurs classiques

Trois des cinq nouveautés exposées ci-dessus à propos de l’arrêté royal du 18 avril 2017 sont également applicables dans les secteurs spéciaux. Il s’agit de la nouveauté relative à l’intégration de la TVA dans la comparaison des offres, de la précision concernant l’heure « limite » de remise des demandes de participation et des offres et de l’obligation de recourir au format électronique lorsqu’un DUME est requis.

En réalité, la modification relative à l’attestation de paiement des cotisations sociales est également applicable dans les secteurs spéciaux, indirectement, lorsque l’entité adjudicatrice fait application (volontaire ou obligatoire) de l’article 62 de l’arrêté royal du 18 avril 2017.

Quant à la modification relative à la traduction des annexes, on s’étonne qu’elle ne soit pas appliquée à l’article 60, § 1er, alinéa 3, de l’arrêté royal du 18 juin 2017. Dans les secteurs spéciaux, l’entité adjudicatrice ne peut donc pas demander de traduction de ces documents lorsqu’ils sont rédigés dans une des langues nationales.

4. Arrêté royal du 14 janvier 2013 : dérogations, cautionnement, suspension du marché ordonnée par l’adjudicateur et modifications du marché

Les modifications apportées à l’arrêté royal « Exécution » sont variées.

Premièrement, lorsque l’adjudicateur souhaite déroger aux dispositions de l’article 38/9, §§ 1er à 3, ou à l'article 38/10, §§ 1er à 3, de l'arrêté royal du 14 janvier 2013 (qui concernent la modification du marché en raison de circonstances imprévisibles dans le chef de l’adjudicataire), il doit indiquer la motivation de cette dérogation dans le cahier des charges à défaut de quoi la dérogation sera réputée non-écrite. Jusqu’à présent, cette sanction n’était pas applicable en l’absence de motivation expresse dans le cahier des charges.

Deuxièmement, citons l’insertion d’un nouvel article 30 à la place de l’ancien. Cette disposition traite des droits de l’adjudicateur sur le cautionnement. Il est désormais rappelé que l’adjudicateur qui entend prélever des sommes sur le cautionnement doit le faire dans le respect des conditions fixées à l'article 44, § 2, de l’arrêté royal du 14 janvier 2013, y compris celle de prendre les moyens de défense de l'adjudicataire en considération. Comme l’indique le Rapport au Roi accompagnant l’arrêté royal du 15 avril 2018, « le cautionnement ne peut en aucun cas être assimilé à une garantie à première demande ».

Troisièmement, l’article 38/12 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 (qui concerne les suspensions de l’exécution du marché ordonnées par l’adjudicateur, et notamment le droit de l’adjudicataire à une indemnisation dans pareille circonstance) a été complété d’une nouvelle hypothèse pour laquelle l'adjudicataire ne peut prétendre à des dommages et intérêts : « Pareil dédommagement n'est non seulement pas possible en cas de conditions météorologiques défavorables, mais également en cas d'autres circonstances auxquelles l'adjudicateur est resté étranger et qui, à la discrétion de l'adjudicateur, constituent un obstacle à continuer l'exécution du marché à ce moment », explique le Rapport au Roi. Cette nouveauté est donc plus contraignante pour l’adjudicataire.

Enfin, le législateur a prévu que les modifications du marché visées aux articles 38/1 et 38/2 (concernant, respectivement, la commande de travaux, fournitures ou services complémentaires et les événements imprévisibles dans le chef de l’adjudicateur) sont désormais également applicables aux marchés publics lancés avant le 30 juin 2017. C’est une petite révolution juridique, un cas exceptionnel d’application rétroactive d’une disposition légale, puisque cela signifie que ces règles vont pouvoir être appliquées à des marchés qui ont été lancés avant-même que ces dispositions aient été adoptées ! Corollairement à cela, l’article 38/19, qui prévoit l’obligation de publier un avis modificatif lorsque l'adjudicateur modifie, en application de ces articles 38/1 et 38/2, un marché dont la valeur estimée est égale ou supérieure au seuil fixé pour la publicité européenne, est également applicable de façon rétroactive à ces marchés.

Autres modifications

D’autres modifications ont été apportées aux textes précités ainsi qu’à d’autres textes légaux. Des adaptations terminologiques (concordance des versions francophone et néerlandophone des textes), des modifications (selon nous) de moindre importance, … La présente rubrique ne se veut pas exhaustive et une sélection a été opérée afin de vous présenter les nouveautés principales. Le lecteur qui souhaite prendre connaissance des autres nouveautés est invité à consulter l’arrêté royal du 15 avril 2018, publié au Moniteur belge du 18 avril 2018.

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