Vous cherchez de nouveaux bureaux ? Et pourquoi pas la location ?

« L'acquisition ou la location, quelles qu'en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d'autres biens immeubles ou concernant des droits sur ces biens » n’est pas soumise à l’application de la réglementation des marchés publics.

L’adjudicateur qui cherche à acquérir ou louer un bâtiment, qu’il s’agisse de bureaux, de guichets administratifs ou encore d’espaces collectifs (destinés par exemple à abriter une école, un centre sportif ou culturel), ne doit pas procéder à la passation d’un marché public pour satisfaire son besoin. Cependant, s’il charge un opérateur économique de la construction de l’ouvrage, dans le but de le lui louer ensuite, l’adjudicateur attribue en réalité un marché public de travaux et doit en respecter les règles de passation. Tel est l’enseignement d’un arrêt récent du Conseil d’État.

Les faits

La Région de Bruxelles-Capitale, dont les bureaux administratifs se situent au CCN et au City Center, se sent à l’étroit dans ces bureaux depuis quelques années. En 2012, elle a lancé un marché public de promotion de travaux afin de faire construire un immeuble répondant à ses attentes en termes de superficie, de situation et de performances énergétiques. Cette procédure avait été interrompue en 2015.

Le 17 mai 2018, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a pris la décision de charger le Ministre-Président « de lancer sans délai un appel à manifestations d’intérêt pour rechercher un bâtiment d’environ 38.000 m² nets ou 47.500 m² bruts ». Le 4 juin 2018, le SPRB a communiqué un « avis de prospection immobilière » à divers agents immobiliers, les invitants à présenter, au plus tard le 20 juin 2018, un projet immobilier satisfaisant aux caractéristiques décrites dans l’avis de prospection immobilière (superficie, accessibilité, performance énergétique, offrir un environnement de travail confortable, convivial et contemporain, espaces de stationnement pour les voitures et les vélos, occupation à la fin octobre 2020 au plus tard, ...).

L’avis indique qu’en termes de modalités financières, cinq possibilités sont envisagées :

  • L’achat
  • L’octroi d’un droit réel
  • La location
  • La location avec option d’achat
  • La location avec transfert de propriété à l’issue de la période de location.

À la date du 20 juin 2018, dix candidats ont manifesté leur intérêt, et neuf d’entre eux ont donné suite à la demande d’offre envoyée le 10 juillet 2018.

Après avoir demandé une amélioration de leur offre et après avoir rencontré les auteurs de quatre projets pré-retenus, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a décidé, le 6 septembre 2018, de conclure un contrat de location avec un candidat, portant sur un projet immobilier appelé la « Silver Tower », à bâtir sur un terrain vague situé à Saint-Gilles.

Deux des candidats non retenus ont porté l’affaire devant le Conseil d’État, arguant le fait que la réglementation relative aux marchés publics n’avait pas été respectée.

La thèse de l’adjudicateur : les contrats exclus du champ d’application de la réglementation des marchés publics

La réglementation énumère un certain nombre de contrats pour lesquels l’adjudicateur n’est pas soumis à l’application de la réglementation des marchés publics. Il en est ainsi, comme cité ci-dessus, de l’achat ou de la location (entre autres droits) de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles.

C’est cette exception qu’invoque la Région de Bruxelles-Capitale dans sa défense : dès lors qu’elle ne s’est pas immiscée dans la conception du bâtiment, les conditions définissant un marché public de travaux ne sont pas réunies. La Région de Bruxelles-Capitale se base sur deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne[1] et sur un auteur de doctrine qui, tous, s’accordent à dire qu’en l’absence de mesures prises par l’autorité pour « définir les caractéristiques de l’ouvrage » ou « exercer une influence déterminante sur la conception de celui-ci », il n’y a pas de marché public de travaux. La Région invoque également l’exposé des motifs du texte qui allait devenir la loi du 17 juin 2016, aux termes duquel « seuls les achats ou locations par un pouvoir adjudicateur d’ouvrages déjà existants, non édifiés ou non adaptés en vue de répondre à des besoins qu’il a prédéterminés n’entrent pas dans le champ d’application de la loi ».

Le projet retenu par le Gouvernement régional bruxellois, la « Silver Tower », n’est pas bâti au moment où le Gouvernement prend la décision de le choisir, mais fait néanmoins l’objet d’un permis d’urbanisme délivré en juillet 2010 et modifié en 2014. Le projet a fait également l’objet d’une seconde demande de permis modificatif, introduite le 22 mai 2018, soit entre la décision du Gouvernement régional bruxellois de chercher un nouveau bâtiment pour abriter ses bureaux (du 17 mai 2018) et le lancement de l’avis de prospection immobilière contenant les attentes de la Région (le 4 juin 2018). Selon la Région de Bruxelles-Capitale, c’est là la démonstration de ce que l’autorité n’a pas pu s’immiscer dans la conception du projet immobilier.

[1] Un arrêt du 25 mars 2010 non identifié et un arrêt n°C-213/13 du 10 juillet 2014, Pizarrotti.

La thèse des requérantes : la notion de marché public de travaux

Les requérantes ont adopté une thèse évidemment contraire à ce qui précède : selon elles, dès lors que l’immeuble serait « à construire » en « répondant aux exigences de l’adjudicateur »[1], le projet retenu doit bien être qualifié de marché public de travaux, répondant à la définition de l’article 2, 18°, de la loi du 17 juin 2016 : « marché public de travaux : des marchés publics ayant l'un des objets suivants :

  1. a) soit l'exécution seule, soit à la fois la conception et l'exécution de travaux relatifs à l'une des activités mentionnées à l'annexe I ;
  2. b) soit l'exécution seule, soit à la fois la conception et l'exécution d'un ouvrage ;
  3. c) la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception »

Les requérantes constatent tout d’abord qu’aucun immeuble « existant », à la date de la décision attaquée, ne satisfait aux exigences de la Région de Bruxelles-Capitale en termes de superficie, performance énergétique et localisation : les quatre projets en lice au terme de la procédure concernent soit des projets à construire intégralement (trois des quatre projets), soit un projet de transformation profonde et d’extension d’un immeuble existant (quatrième projet). En particulier, la « Silver Tower » est au stade du permis d’urbanisme à la date de ladite décision.

Les requérantes exposent ensuite que la Région de Bruxelles-Capitale a exercé une influence déterminante sur la conception : selon elles, le projet de la « Silver Tower » ne répond aux exigences formulées dans l’avis de prospection immobilière que depuis qu’il a fait l’objet du permis modificatif, dont la demande date du 22 mai 2018 mais qui n’a fait l’objet d’un accusé de réception de dossier complet qu’en date du 25 juin 2018, soit après la communication des attentes du pouvoir adjudicateur dans l’avis de prospection immobilière.

Selon les requérantes l’influence déterminante est établie de deux façons. D’une part, elles constatent que l’existence-même du projet est liée à la décision du pouvoir adjudicateur : la réalisation du projet « Silver Tower » n’a pas commencé au moment où est prise la décision de le choisir, et n’aurait nullement commencé en l’absence de cette décision. D’autre part, elles relèvent que plusieurs points du permis modificatif (augmentation de la surface brute, changement d’affectation, placement de panneaux photovoltaïques, …) rencontrent spécifiquement les attentes de la Région.

[1] Ces deux conditions sont établies dans deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne : l’arrêt n°C-536/07 du 29 octobre 2009, Commission c/ Allemagne, et l’arrêt Pizarrotti précité.

Appréciation par le Conseil d’État

Le Conseil d’État rappelle les conditions établissant l’existence d’un marché public[1] :

  • Les acteurs du contrat : un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs adjudicateurs
  • Un contrat à titre onéreux
  • Un objet portant sur l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services

La présence d’un opérateur économique (l’auteur du projet retenu) et d’un adjudicateur (la Région de Bruxelles-Capitale) ne soulève pas de questions, pas plus que le caractère onéreux du contrat (le paiement d’un loyer pendant au moins 18 ans).

L’objet du marché fait l’objet des développements qui suivent.

Le Conseil d’État constate tout d’abord que, dès lors que le contrat de bail envisagé porte sur un bien encore inexistant, le premier objet de l’opération est la construction de la « Silver Tower ». Sans cette construction, point de bail.

Ensuite, le Conseil d’État constate que les caractéristiques du projet, notamment après obtention du permis modificatif durant l’été 2018, et la chronologie des faits sont « autant d’indices de l’exercice d’une influence déterminante de la partie adverse sur la nature ou la conception de cet ouvrage ». Selon le Conseil d’État, « ces différentes caractéristiques de l’opération litigieuse conduisent à qualifier celle-ci de ‘marché public de travaux’ ».

Dès lors qu’il s’agit d’un marché public de travaux, le contrat ne pouvait être attribué sans application de la réglementation relative aux marchés publics.

Conclusion

Adjudicateurs qui cherchez à acquérir de nouveaux locaux, soyez attentifs et gardez-vous de vous immiscer dans la conception d’un projet immobilier ! Si le projet, encore non réalisé au moment où vous le retenez, est adapté pour satisfaire certains de vos besoins ou certaines préférences, il s’agit d’un marché public de travaux ! Rappelez-vous que, comme toute exception à l’application de la réglementation relative aux marchés publics, celle portant sur l’acquisition ou la location de bâtiments existants est de stricte interprétation.

[1] Art. 2, 17°, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics.

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