Tour d’horizon des mesures d’offices: le pouvoir adjudicateur juge et partie – et mes droits dans tout ça?

La règlementation relative aux marchés publics se fonde sur un déséquilibre contractuel: elle place le pouvoir adjudicateur en position dominante. En vue de lui permettre d’assurer sa mission d’intérêt général, le législateur lui a attribué des prérogatives allant jusqu’à mettre à mal l’expression populaire interdisant à une personne d’être à la fois juge et partie.

En effet, si vous avez reçu un procès-verbal de défaut d’exécution auquel vous n’êtes pas en mesure de répondre adéquatement[1], vous ne risquez pas seulement des amendes et pénalités. Le pouvoir adjudicateur pourrait vous appliquer une des mesures d’office prévues à l’article 47 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013. Mais, en quoi consistent-elles exactement?

1. Un défaut d’exécution constaté dans les formes

L’infliction d’une mesure d’office est subordonnée, d’abord, à l’envoi d’un procès-verbal de défaut d’exécution et, ensuite, à une inaction de votre part ou à la présentation de moyens jugés non justifiés par le pouvoir adjudicateur, dans les quinze jours suivant la date de l’envoi du procès-verbal[2].

La règlementation prévoit trois hypothèses dans lesquelles vous pourriez être considéré en défaut d’exécution du marché: lorsque les prestations ne sont pas exécutées dans les conditions définies par les documents du marché; à tout moment, lorsque les prestations ne sont pas poursuivies de telle manière qu'elles puissent être entièrement terminées aux dates fixées; lorsque vous ne suivez pas les ordres écrits, valablement donnés par le pouvoir adjudicateur[3].

Les situations à la source d’un défaut d’exécution peuvent donc être multiples et variées. Dans tous les cas, il est essentiel que vous répondiez aux reproches formulés par le pouvoir adjudicateur. Vous ne pourrez peut-être pas justifier tous les manquements qui vous sont imputés mais, en y répondant, vous diminuerez les risques qu’une mesure d’office vous soit infligée. En effet, seul un manquement grave (ou la conjugaison de plusieurs manquements mineurs présentant cumulés un caractère de gravité) pourra fonder l’application d’une mesure d’office.

2. L’infliction d’une mesure d’office

Face à un adjudicataire défaillant, le pouvoir adjudicateur peut faire usage d’une des trois mesures d’office prévues par la règlementation. Au vu de la gravité de ces sanctions, la décision d’y recourir devra être adoptée par l’organe décisionnel compétent du pouvoir adjudicateur. Le choix d’une des trois mesures d’office et celui de l’infliger pour tout ou partie[4] du marché restant à exécuter dépendra des circonstances du cas d’espèce.

3. Les différentes mesures d’office

A. LA RÉSILIATION DU MARCHÉ

La résiliation est certainement la mesure la plus utilisée. Il s’agit pour le pouvoir adjudicateur de mettre fin pour le futur à tous les liens contractuels l’unissant à l’adjudicataire. Dans ce cas, le pouvoir adjudicateur acquiert la totalité du cautionnement[5] à titre de dommages et intérêts forfaitaires. Si une telle mesure vous est appliquée, sachez qu’aucune amende du chef de retard d’exécution ne peut vous être appliquée pour la partie résiliée du marché. Vous restez par contre redevable des amendes pour la partie non-résiliée du marché.
Votre préjudice sera limité et chiffrable.

 

B. L’EXÉCUTION EN GESTION PROPRE

L’exécution en gestion propre[6] permet au pouvoir adjudicateur de faire exécuter tout ou partie des travaux restants par ses propres services. Cette mesure est par nature souvent limitée dans les faits en ce qu’elle dépend des compétences auxquelles un pouvoir adjudicateur peut faire appel en interne.

Si vous faites l’objet de cette sanction, vous devrez en assumer les coûts et resterez responsable de tous les travaux exécutés par vos soins. Les coûts que vous devrez supporter seront éminemment subjectifs et dépendront d’une estimation réalisée par le pouvoir adjudicateur de ce que lui coûte la mobilisation de son personnel pour exécuter les travaux restants.
En tant qu’opérateur économique, vous n’aurez pas voix au chapitre et ne pourrez contester les montants qui vous sont éventuellement imputés qu’ultérieurement en justice.

 

C. LE MARCHÉ POUR COMPTE

La passation d’un marché pour compte présente des similarités avec l’exécution en gestion propre mais avec des conséquences bien plus graves pour l’adjudicataire défaillant. Concrètement, le pouvoir adjudicateur lancera une ou plusieurs nouvelle(s) procédure(s) en vue d’attribuer dans les plus brefs délais les travaux restants à exécuter à un ou plusieurs autre(s) opérateur(s) économique(s) et cette mesure sera également appliquée aux frais, risques et périls de l’adjudicataire défaillant. Précisions qu’il ne s’agit donc pas de se tourner vers le soumissionnaire arrivé en deuxième position lors de la passation du marché dont l’exécution est pose problème[7].

Les coûts à supporter seront vraisemblablement plus élevés lors de la passation d’un marché pour compte que lors d’une exécution en gestion propre. Les opérateurs économiques amenés à déposer offre se garantiront de l’incertitude par un prix supérieur et seront tentés de rendre cette opération la plus lucrative possible. Le pouvoir adjudicateur qui passe un marché pour compte devrait veiller à ne pas retenir d’offre inacceptable mais on ne pourra pas le blâmer d’accepter des offres supérieures aux prix du marché en raison des circonstances particulières.

 

4. Mesure appliquée pour tout ou partie?

Comme le prévoit expressément la règlementation, certaines mesures d’office peuvent être appliquées pour partie. C’est le cas pour l’exécution en gestion propre et le marché pour compte mais ce n’est pas prévu pour la résiliation. Rappelons également que le mécanisme de l’allotissement donne naissance à des lots ayant une existence séparée, avec possibilité pour le pouvoir adjudicateur de prendre une mesure d’office par exemple pour seul un des lots attribués à un même entrepreneur. Le fait de n’appliquer une sanction que pour partie permet au pouvoir adjudicateur d’anticiper la suite des évènements et de préparer le lancement d’un nouveau marché (marché pour compte) ou les opérations à réaliser en interne (exécution en gestion propre).
Lorsqu’une mesure d’office vous est notifiée, pensez bien à en examiner le périmètre.

5. Ai-je encore un rôle à jouer après avoir été sanctionné d’une mesure d’office?

Cette question sera approfondie lors de la partie 2 de cet article qui sera consacrée à l’article 87 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 qui s’étend plus concrètement sur les mesures d’office en marchés de travaux.

Conclusion

Les mesures d’office sont lourdes de conséquences et il ne fait pas bon, que ce soit financièrement ou même pour la réputation de l’entreprise, d’en faire les frais. Ne pas présenter ses moyens de défense à la suite de la réception d’un procès-verbal de défaut d’exécution, quels qu’ils soient, est une erreur à ne pas commettre!

[1] En justifiant les manquements qui vous sont reprochés conformément à l’article 44, §2, de l’AR du 14 janvier 2013

[2] Ou préalablement en cas de reconnaissance des manquements constatés

[3] Art. 44, §1, AR 14/01/2013

[4] Voir infra «4. Mesure appliquée pour tout ou partie?»

[5] Ou à défaut de cautionnement un montant équivalent

[6] Anciennement exécution en régie

[7] (Chronique des marchés publics 2016-2017, «La passation pour compte dans les marchés publics de travaux: retour d’expérience», M.-A. VROMAN et B.WATHELET).

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